setembro 17, 2005

FIN DE L'HISTOIRE, OU FIN DE LA GÉOGRAPHIE ? - Par PAUL VIRILIO

Como não se colocar a questão de saber o que abrange o termo incessantemente repetido de "mundialização"? Trata-se de uma palavra destinada a renovar o de internacionalismo, demasiado marcado pelo comunismo, ou, como se pretende frequentemente, de uma referência ao capitalismo do mercado único? Num caso como no outro, está-se distante do que conta. Após o "fim da história", prematuramente anunciada por Francis Fukuyama há alguns anos, a mundialização anuncia, com efeito, o fim da geografia, o fim do espaço de um pequeno planeta em suspensão no éter electrónico dos nossos modernos meios de telecomunicações.

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O texto original em francês está disponível em:

http://www.monde-diplomatique.fr/1997/08/VIRILIO/8948

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FIN DE L'HISTOIRE, OU FIN DE LA GÉOGRAPHIE ?
Un monde surexposé


Par PAUL VIRILIO

Philosophe et urbaniste. Auteur, entre autres, de La Bombe informatique, Galilée, Paris, 1998.

TOTALITÉ ou globalité ?

Comment ne pas se poser la question de savoir ce que recouvre le terme sans cesse répété de « mondialisation » ? S'agit-il d'un mot destiné à renouveler celui d'internationalisme, trop marqué par le communisme, ou, comme on le prétend souvent, d'une référence au capitalisme du marché unique ? Dans un cas comme dans l'autre, on est loin du compte. Après la « fin de l'histoire », prématurément annoncée par Francis Fukuyama il y a quelques années, la mondialisation annonce, en fait, la fin de la géographie, la fin de l'espace d'une petite planète en suspension dans l'éther électronique de nos modernes moyens de télécommunications.

Ne l'oublions plus, « l'achèvement est une limite » (Aristote), et l'accomplissement parfait une conclusion définitive. Le temps du monde fini s'achève et, à défaut d'être astronome ou géophysicien, l'être humain ne comprendra rien à la soudaine mondialisation de l'histoire sans faire retour à la physique et à la réalité du moment.
Prétendre, comme c'est désormais le cas, que le terme de mondialisme illustre le succès de la libre entreprise sur le collectivisme totalitaire, c'est ne rien comprendre à l'actuelle perte des distances de temps et à l'incessant feed-back, au télescopage des activités industrielles ou postindustrielles.
Comment imaginer la mutation informationnelle si nous en restons à une approche idéologique, alors qu'il faudrait justement relancer, de toute urgence, une approche géostratégique pour découvrir l'ampleur du phénomène en cours ? Et cela, pour revenir à la Terre, non pas au sens vieux du sol nourricier, mais bien à celui de l'astre céleste et unique que nous occupons... Revenir au monde, à ses dimensions et à leur perte prochaine dans l'accélération, non plus de l'histoire = qui vient de perdre le temps local, sa base concrète = mais à l'accélération de la réalité elle-même, avec l'importance nouvelle de ce temps mondial dont l'instantanéité efface définitivement la réalité des distances, de ces intervalles géographiques qui organisaient, hier encore, la politique des nations et leurs coalitions, et dont la guerre froide a manifesté l'importance, à l'époque de la politique des blocs Est/Ouest.
Physique et métaphysique, depuis Aristote ces deux termes sont philosophiquement entendus et compris, mais que dire de géophysique et métagéophysique ? Le doute subsiste sur le sens de ce dernier mot, alors même que la réalité des faits ne cesse d'illustrer la perte du fondement géographique des continents, au bénéfice des télécontinents et d'une communication mondiale devenue quasi instantanée...
Après l'importance politique extrême de la géophysique du globe sur l'histoire de sociétés qui étaient moins séparées par leurs frontières nationales que par les délais et les distances de la communication d'un point à un autre, vient de se révéler, depuis peu, l'importance transpolitique de cette sorte de métagéophysique que représente pour nous l'interactivité quasi cybernétique du monde contemporain.
Puisque toute présence n'est présente qu'à distance, la téléprésence de l'ère de la mondialisation des échanges ne saurait s'installer que dans l'écartement le plus vaste qui soit. Ecartement qui s'étend désormais aux antipodes du globe, d'une rive à l'autre de la réalité présente, mais d'une réalité métagéophysique qui ajuste étroitement les télécontinents d'une réalité virtuelle qui accapare l'essentiel de l'activité économique des nations, et, a contrario, désintègre des cultures précisément situées dans l'espace physique du globe.
A défaut d'une fin de l'histoire, c'est donc bien à la fin de la géographie que nous assistons. Là où les anciennes distances de temps produisaient, jusqu'à la révolution des transports du siècle dernier, l'éloignement propice des diverses sociétés, à l'ère de la révolution des transmissions qui commence le continuel feed-back des activités humaines engendre l'invisible menace d'un accident de cette interactivité généralisée, dont le krach boursier pourrait être le symptôme.
Une anecdote particulièrement significative illustrera ce propos : depuis peu, ou plus exactement, depuis le début de la décennie 90, pour le Pentagone, la géostratégie retourne le globe comme un gant ! En effet, pour les responsables militaires américains, le global c'est l'intérieur d'un monde fini, dont la finitude même pose des problèmes logistiques nombreux... Et le local, c'est l'extérieur, la périphérie, pour ne pas dire la grande banlieue de la planète !
Ainsi, pour l'état-major des forces armées des Etats-Unis, les pépins ne sont plus à l'intérieur des pommes, ni les quartiers au centre de l'orange : l'écorce est retournée, l'extérieur ce n'est plus seulement la peau, la surface de la Terre, c'est tout ce qui est in situ, précisément localisé ici ou là.

Partout et maintenant

LA voilà la grande mutation globalitaire, celle qui extravertit la localité - toute localité - et qui déporte non plus des personnes, des populations entières, comme hier, mais leur lieu de vie et de subsistance économique. Délocalisation globale qui affecte la nature même de l'identité, non plus seulement « nationale » mais « sociale », remettant en cause non pas tant l'Etat-nation que la ville, la géopolitique des nations.
« Pour la première fois, déclarait le président des Etats-Unis, William Clinton, il n'y a plus de différence entre la politique intérieure et la politique étrangère. »
Plus de distinction entre le « dehors » et le « dedans » certes, à l'exception toutefois, du retournement topologique opéré précédemment par le Pentagone et le département d'Etat ! En fait, la formule du président américain introduit historiquement la nouvelle dimension métapolitique d'un pouvoir devenu global et accrédite la venue d'une politique intérieure qui serait traitée comme l'était naguère la politique extérieure.
La ville réelle, localement située et qui donnait jusqu'à son nom à la politique des nations, cède sa primauté à la ville virtuelle, cette « métacité » déterritorialisée qui deviendrait ainsi le siège de cette métropolitique dont le caractère totalitaire, ou plutôt globalitaire, n'échappera à personne.
Nous l'avions sans doute oublié, à côté de la richesse et de son accumulation, il y a la vitesse et sa concentration, sans lesquelles la centralisation des pouvoirs qui se sont succédé au cours de l'histoire, n'aurait tout simplement pas eu lieu : pouvoir féodal et monarchique ou pouvoir de l'Etat national contemporain, pour lesquels l'accélération des transports et des transmissions facilitait le gouvernement des populations.
Avec la nouvelle mondialisation des échanges, la cité revient au premier plan. Forme historique majeure de l'humanité, la métropole concentre la vitalité des nations du globe. Mais cette cité locale n'est déjà plus qu'un quartier, un arrondissement parmi d'autres de l'invisible « métacité mondiale » dont « le centre est partout et la circonférence nulle part » (Pascal).
Hypercentre virtuel, dont les villes réelles ne sont jamais que la périphérie, ce phénomène accentuant encore, après la désertification de l'espace rural, le déclin de villes moyennes, incapables de résister longtemps à l'attraction de métropoles disposant de l'intégralité des équipements de télécommunications, comme des liaisons terrestres ou aériennes à grande vitesse.
Phénomène métropolitique d'une hyperconcentration humaine catastrophique qui vient à supprimer progressivement l'urgence d'une véritable géopolitique des populations autrefois harmonieusement réparties sur l'ensemble de leurs territoires.
Pour illustrer les conséquences récentes des télécommunications personnelles sur la politique municipale, une autre anecdote : depuis la soudaine prolifération des téléphones portables, la police du district de Los Angeles se trouve devant un nouveau type de difficulté. Alors que, jusqu'à présent, les divers trafics de drogue se trouvaient précisément situés dans quelques quartiers contrôlables par les brigades de la lutte antinarcotique, ces dernières se sont trouvées fort dépourvues devant le caractère aléatoire et foncièrement délocalisé de la rencontre de dealers etde consommateurs disposant de liaisons téléphoniques mobiles, pour se retrouver ici ou là, quelque part, n'importe où...
Un même phénomène technique facilitant à la fois la concentration métropolitaine et la dispersion des risques majeurs, il fallait y songer pour promouvoir demain, en tout cas très bientôt, un contrôle cybernétique approprié aux réseaux personnels... D'où la fuite en avant d'Internet, réseau militaire récemment « civilisé ».
En fait, plus les distances de temps s'abolissent et plus l'image de l'espace se dilate : « On dirait qu'une explosion a eu lieu sur toute la planète. Le moindre recoin se trouve tiré de l'ombre par une lumière crue », écrivait Ernst Jünger, à propos de cette illumination qui éclaire la réalité du monde. La venue du live, du « direct », provoquée par la mise en oeuvre de la vitesse des ondes, transforme l'ancienne « télévision » en une grande optique planétaire.
Avec CNN et ses divers avatars, la télévision cède la place à la télésurveillance. Phénomène sécuritaire de contrôle médiatique de la vie des nations, cette soudaine focalisation annonce l'aube d'une journée particulière échappant totalement à l'alternance diurne-nocturne qui avait jusqu'ici structuré l'histoire. Avec ce faux jour produit par l'illumination des télécommunications, se lève un soleil d'artifice, un éclairage de secours qui inaugure un temps nouveau - temps mondial où la simultanéité des actions devrait bientôt l'emporter sur leur classique successivité.
La continuité visuelle (audiovisuelle) remplaçant progressivement la perte d'importance de la contiguïté territoriale des nations, les frontières politiques allaient elles-mêmes se déplacer de l'espace réel de la géopolitique, au temps réel de la chronopolitique de la transmission de l'image et du son. Deux aspects complémentaires de la mondialisation sont donc à prendre en compte désormais : d'une part, l'extrême réduction des distances résultant de la compression temporelle des transports comme des transmissions ; d'autre part, la généralisation en cours de la télésurveillance.
Vision d'un monde constamment « téléprésent », 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, grâce à l'artifice de cette optique transhorizon qui donne à voir ce qui était naguère hors de vue. « Toute image a un destin de grandissement », déclarait Gaston Bachelard. Ce destin des images, c'est la science, la techno-science de l'optique qui l'assume. Hier, avec le télescope et le microscope ; demain, avec cette télésurveillance domestique qui surpassera les dimensions proprement militaires du phénomène. En effet, l'épuisement de l'importance politique de l'étendue, issue de la pollution inaperçue de la grandeur nature du globe terrestre par l'accélération, exige l'invention d'une grande optique de substitution.
Optique active (ondulatoire) qui vient à renouveler de fond en comble l'usage de l'optique passive (géométrique) de l'ère de la lunette de Galilée. Et cela, comme si la perte de la ligne d'horizon de la perspective géographique nécessitait impérativement la mise en oeuvre d'un horizon de substitution.
« Horizon artificiel » d'un écran ou d'un moniteur susceptible d'afficher en permanence la prépondérance nouvelle de la perspective médiatique sur celle, immédiate, de l'espace. Le relief de l'événement « téléprésent » prenant, dès lors, le pas sur les trois dimensions du volume des objets ou des lieux, iciprésents.
On comprend mieux ainsi la soudaine multiplication des « grands luminaires » : ces satellites d'observation météorologique ou militaire. La mise en orbite répétée de satellites de transmission, la généralisation de la vidéosurveillance métropolitaine, ou encore le développement récent des live cams sur le réseau Internet. Tout cela contribuant, comme nous l'avons vu précédemment, à l'inversion des notions habituelles d'intérieur et d'extérieur.
Finalement, cette visualisation généralisée est l'aspect le plus marquant de ce que l'on dénomme la virtualisation. La fameuse « réalité virtuelle », ce n'est pas tellement la navigation coutumière dans le cyberespace des réseaux, c'est d'abord l'amplification de l'épaisseur optique des apparences du monde réel. Amplification qui tente de compenser la contraction tellurique des distances provoquée par la compression temporelle des télécommunications instantanées.
Dans un monde de téléprésence obligée qui submerge la présence immédiate des uns et des autres (dans le commerce ou le travail...) la « télévision » ne peut plus être ce qu'elle était depuis un demi-siècle : lieu de divertissement ou de promotion culturelle, elle doit d'abord donner le jour au temps mondial des échanges, à cette vision virtuelle qui supplante celle du monde réel qui nous entoure.
La grande optique transhorizon est donc le lieu de toute « virtualisation » (stratégique, économique ou politique...). Sans elle, le développement du globalitarisme, qui s'apprête à renouveler les totalitarismes du passé, serait inefficace.
Pour donner du relief, de l'épaisseur optique à la mondialisation, il faut non seulement se brancher sur les réseaux cybernétiques, mais surtout dédoubler la réalité du monde. A l'instar de la stéréophonie et de la stéréoscopie qui distinguent la gauche et la droite pour faciliter la perception du relief audio et visuel, il faut à tout prix réaliser la rupture de la réalité première en élaborant une stéréo-réalité composée, d'une part, de la réalité actuelle des apparences immédiates et, d'autre part, de la réalité virtuelle des trans-apparences médiatiques.
C'est seulement lorsque cet « effet de réel » sera popularisé et banalisé que l'on pourra effectivement parler de mondialisation. Parvenir enfin à « mettre en lumière » un monde surexposé et sans angles morts, sans « zones d'ombre » - à l'exemple de la microvidéo qui remplace à la fois les phares de recul et les rétroviseurs des automobiles -, voilà l'objectif des techniques de la vision synthétique.
Puisque toute image vaut mieux qu'un long discours, le dessein des multimédias est de muter notre vieille télévision en une sorte de télescopie domestique, pour voir, prévoir le monde qui vient, à l'exemple de ce qui s'opère déjà avec la météorologie. Faire de l'écran l'ultime fenêtre, mais une fenêtre qui permettrait moins de recevoir des données que d'apercevoir l'horizon de la mondialisation, l'espace de sa virtualisation accélérée...

La machine panoptique

PRENONS un exemple pratique, largement mésestimé : celui des live cameras, ces capteurs vidéo installés un peu partout dans le monde et accessibles uniquement sur Internet. Apparemment anecdotique et futile, le phénomène se répand cependant dans toutes les régions de pays de plus en plus nombreux : de la baie de San Francisco au mur des Lamentations à Jérusalem, en passant par l'intérieur des bureaux ou des appartements de quelques exhibitionnistes, la caméra-direct permet de découvrir en temps réel ce qui se produit à l'autre bout de la planète, à l'instant même. Ici, l'ordinateur n'est plus seulement une machine à consulter des informations, mais une machine de vision automatique opérant dans l'espace d'une réalité géographique intégralement virtualisée.
Certains adeptes d'Internet n'hésitant même plus à vivre en direct, internés dans les circuits fermés de la Toile, ils offrent leur intimité à l'attention de tous. Figures d'un voyeurisme universel, cette introspection collectiviste est appelée à se répandre prochainement, à la vitesse du marché unique de la publicité universelle qui s'annonce.
Simple « réclame d'un produit industriel ou artisanal » au XIXe siècle, suscitant des désirs au XXe , la « publicité » s'apprête à devenir, au XXIe siècle, pure « communication », exigeant, par là même, le déploiement d'un espace publicitaire aux dimensions de l'horizon de visibilité du globe. Ne se satisfaisant nullement de l'affichage classique, ni de la coupure de programmes radiophoniques ou télévisuels, la publicité globale exige encore d'imposer son « environnement » à la contemplation d'une foule de téléspectateurs devenus entre-temps « téléacteurs » et surtout téléacheteurs.
Toujours sur Internet, certaines cités oubliées des touristes vantent leurs mérites et des hôtels alpestres la beauté de leurs panoramas. Des artistes du land art s'apprêtent à équiper leurs oeuvres de multiples caméras Web. Enfin, on peut aussi voyager par substitution : faire le tour de l'Amérique, visiter le Japon, Hongkong et même une station antarctique dans sa nuit polaire...
Malgré la faible qualité optique de ce support, le « direct » est devenu un instrument de promotion qui dirige le regard de tous vers des points de vue privilégiés. Rien n'arrive, tout se passe. L'optique électronique devient le « moteur de recherche » d'une prévision mondialisée.
Si jadis, avec la fameuse « longue- vue », il s'agissait seulement d'observer par-delà la ligne d'horizon ce qui surgissait d'inattendu, actuellement, il s'agit d'apercevoir ce qui se passe aux antipodes, sur la face cachée de la Terre. Ainsi, sans l'assistance de l'« horizon artificiel » du multimédia, pas de navigation possible dans l'éther électronique de la mondialisation.
Membre fantôme, la Terre ne s'étend plus à perte de vue, elle se donne à voir sous toutes ses faces dans l'étrange lucarne. La soudaine multiplication des points de vue n'est donc que l'effet d'annonce de la toute dernière globalisation : celle du regard, de l'oeil unique du cyclope qui gouverne la caverne, cette boîte noire qui dissimule de plus en plus mal le grand soir de l'histoire, une histoire victime du syndrome de l'accomplissement total.

PAUL VIRILIO

LE MONDE DIPLOMATIQUE AOÛT 1997 Page 17

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setembro 16, 2005

Gilles Deleuze - Les conditions de la question : qu'est-ce que la philosophie ?

Talvez só se possa fazer a pergunta o que é a filosofia quando é tarde, quando vem a velhice, e a hora de falar concretamente. É uma pergunta que se faz quando não se tem mais nada a pedir, mas as suas consequências podem ser consideráveis.

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Gilles Deleuze - Les conditions de la question : qu'est-ce que la philosophie ?
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Peut-être ne peut-on poser la question qu’est-ce que la philosophie que tard, quand vient la vieillesse, et l’heure de parler concrètement. C’est une question qu’on pose quand on n’a plus rien à demander, mais ses conséquences peuvent être considérables.

Auparavant on la posait, on ne cessait pas de la poser, mais c’était trop artificiel, trop abstrait, on l’exposait, on la dominait plus qu’on n’était happé par elle. Il y a des cas où la vieillesse donne, non pas une éternelle jeunesse, mais au contraire une souveraine liberté, une nécessité pure où l’on jouit d’un moment de grâce entre la vie et la mort, et où toutes les pièces de la machine se combinent pour envoyer dans l’avenir un trait qui traverse les âges Turner, Monet, Matisse. Turner vieux a acquis ou conquis le droit de mener la peinture sur un chemin désert et sans retour, qui ne se distingue plus d’une dernière question. De même en philosophie, la Critique du jugement, de Kant, est une œuvre de vieillesse, une œuvre déchaînée derrière laquelle ne cesseront de courir ses descendants.

Nous ne pouvons pas prétendre à un tel statut. Simplement, l’heure est venue pour nous de demander ce que c’est que la philosophie. Et nous n’avions pas cessé de le faire précédemment, et nous avions déjà la réponse, qui n’a pas varié la philosophie est l’art de former, d’inventer, de fabriquer des concepts. Mais il ne fallait pas seulement que la réponse recueille la question, il fallait aussi qu’elle détermine une heure, une occasion, des circonstances, des paysages et des personnages, des conditions et des inconnues de la question. Il fallait pouvoir la poser "entre amis", comme une confidence ou une confiance, ou bien face à l’ennemi, comme un défi, et tout à la fois atteindre à cette heure, entre chien et loup, où l’on se méfie même de l’ami.

C’est que les concepts ont besoin de personnages conceptuels qui contribuent à leur définition. "Ami" est un tel personnage, dont on dit même qu’il témoigne pour une origine grecque de la philosophie les autres civilisations avaient des Sages, mais les Grecs présentent ces "amis", qui ne sont pas simplement des sages plus modestes. Ce seraient les Grecs qui auraient entériné la mort du Sage, et l’auraient remplacé par les philosophes, les amis de la sagesse, ceux qui cherchent la sagesse, mais ne la possèdent pas formellement. Peu de penseurs pourtant se sont demandé ce que signifiait "ami", même et surtout chez les Grecs. Ami désignerait-il une certaine intimité compétente, une sorte de goût matériel ou une potentialité, comme celle du menuisier avec le bois le bon menuisier est en puissance de bois, il est l’ami du bois La question est importante puisque l’ami, tel qu’il apparaît dans la philosophie, ne désigne plus un personnage extrinsèque, un exemple ou une circonstance empirique, mais une présence intrinsèque à la pensée, une condition de possibilité de la pensée même, bref une catégorie vivante, un vécu transcendantal, un élément constituant de la pensée. Et en effet, dès la naissance de la philosophie, les Grecs font subir un coup de force à l’ami qui n’est plus en rapport avec un autre, mais avec une Entité, une Objectivité, une Essence. Ce qu’exprime bien la formule si souvent citée, qu’il faut traduire je suis l’ami de Pierre, de Paul, ou même du philosophe Platon, mais plus encore ami du Vrai, de la Sagesse ou du Concept. Le philosophe s’y connaît en concepts, et en manque de concepts, il sait lesquels sont inviables, arbitraires ou inconsistants, ne tiennent pas un instant, lesquels au contraire sont bien faits et témoignent d’une création, même inquiétante ou dangereuse.

Que veut dire ami, quand il devient personnage conceptuel, ou condition pour l’exercice de la pensée ou bien amant, n’est-ce pas plutôt amant. Et l’ami ne va-t-il pas réintroduire, jusque dans la pensée, un rapport vital avec l’Autre qu’on avait cru exclure de la pensée pure Ou bien encore ne s’agit-il pas de quelqu’un d’autre que l’ami ou l’amant Car, si le philosophe est l’ami ou l’amant de la Sagesse, n’est-ce pas parce qu’il y prétend, s’y efforçant en puissance plutôt que la possédant en acte L’ami serait donc aussi le prétendant, et celui dont il se dirait l’ami, ce serait la Chose sur laquelle porterait la prétention, mais non pas le tiers, qui deviendrait au contraire un rival L’amitié comporterait autant de méfiance émulante à l’égard du rival que d’amoureuse tension vers l’objet du désir. Quand l’amitié se tournerait vers l’essence, les deux amis seraient comme le prétendant et le rival (mais qui les distinguerait). C’est par là que la philosophie grecque coïnciderait avec l’apport des " cités avoir promu entre elles et en chacune des rapports de rivalité, opposant des prétendants dans tous les domaines, en amour, dans les jeux, les tribunaux, les magistratures, la politique, et jusque dans la pensée qui ne trouverait pas seulement sa condition dans l’ami, mais dans le prétendant et dans le rival (la dialectique que Platon définissait par l’amphisbetesis). Un athlétisme généralisé. L’ami, l’amant, le prétendant, le rival sont des déterminations transcendantales qui ne perdent pas pour cela leur existence intense et animée, dans un même personnage ou dans plusieurs. Et quand, aujourd’hui, Maurice Blanchot, qui fait partie des rares penseurs à considérer le sens du mot " ami dans philosophie, reprend cette question intérieure des conditions de la pensée comme telle, n’est-ce pas de nouveaux personnages conceptuels encore qu’il introduit au sein du plus pur Pensé, des personnages peu grecs cette fois, venus d’ailleurs, qui entraînent avec eux de nouvelles relations vivantes promues à l’état de figures a priori une certaine fatigue, une certaine détresse entre amis qui convertit l’amitié même à la pensée du concept comme partage et patience infinis La liste des personnages conceptuels n’est jamais close, et par là joue un rôle important dans l’évolution ou les mutations de la philosophie leur diversité doit être comprise, sans être réduite à l’unité déjà complexe du philosophe.

Le philosophe est l’ami du concept, il est en puissance de concept. C’est dire que la philosophie n’est pas un simple art de former, d’inventer ou de fabriquer des concepts, car les concepts ne sont pas nécessairement des formes, des trouvailles ou des produits. La philosophie, plus rigoureusement, est la discipline qui consiste à créer des concepts. L’ami serait l’ami de ses propres créations Créer des concepts toujours nouveaux, c’est l’objet de la philosophie. C’est parce que le concept doit être créé, qu’il renvoie au philosophe comme à celui qui l’a en puissance, ou qui en a la puissance et la compétence. On ne peut pas objecter que la création se dit plutôt du sensible et des arts, tant l’art fait exister des entités spirituelles, et tant les concepts philosophiques sont aussi des " sensibilia. À dire vrai, les sciences, les arts, les philosophies sont également créateurs, bien qu’il revienne à la philosophie seule de créer des concepts au sens strict. Les concepts ne nous attendent pas tout faits, comme des corps célestes. Il n’y a pas de ciel pour les concepts. Ils doivent être inventés, fabriqués ou plutôt créés, et ne seraient rien sans la signature de ceux qui les créent. Nietzsche a déterminé la tâche de la philosophie quand il écrivit " Les philosophes ne doivent plus se contenter d’accepter les concepts qu’on leur donne, pour seulement les nettoyer et les faire reluire, mais il faut qu’ils commencent par les fabriquer, les créer, les poser et persuader les hommes d’y recourir. Jusqu’à présent, somme toute, chacun faisait confiance à ses concepts, comme à une dot miraculeuse venue de quelque monde également miraculeux, mais il faut remplacer la confiance par la méfiance, et c’est des concepts que le philosophe doit se méfier le plus, tant qu’il ne les a pas lui-même créés (Platon le savait bien, quoiqu’il ait enseigné le contraire…). Que vaudrait un philosophe dont on pourrait dire il n’a pas créé de concept Nous voyons au moins ce que la philosophie n’est pas elle n’est pas contemplation, ni réflexion, ni communication, même si elle a pu croire être tantôt l’une, tantôt l’autre, en raison de la capacité de toute discipline à engendrer ses propres illusions, et à se cacher derrière un brouillard qu’elle émet spécialement. Elle n’est pas contemplation, car les contemplations sont les choses elles-mêmes en tant que vues dans la création de leurs propres concepts. Elle n’est pas réflexion, parce que personne n’a besoin de philosophie pour réfléchir sur quoi que ce soit on croit donner beaucoup à la philosophie en en faisant l’art de la réflexion, mais on lui retire tout, car les mathématiciens comme tels n’ont jamais attendu les philosophes pour réfléchir sur les mathématiques, ni les artistes, sur la peinture ou la musique dire qu’ils deviennent alors philosophes est une mauvaise plaisanterie, tant leur réflexion appartient à leur création respective. Et la philosophie ne trouve aucun refuge ultime dans la communication, qui ne travaille en puissance que des opinions, pour créer du " consensus et non du concept.

La philosophie ne contemple pas, ne réfléchit pas, ne communique pas, bien qu’elle ait à créer des concepts de ces actions ou passions. La contemplation, la réflexion, la communication ne sont pas des disciplines, mais des machines à constituer des Universaux dans toutes les disciplines. Les Universaux de contemplation, puis de réflexion, sont comme les deux illusions que la philosophie a déjà parcourues dans son rêve de dominer les autres disciplines (idéalisme objectif et idéalisme subjectif), et la philosophie ne s’honore pas en se rabattant maintenant sur des universaux de la communication qui lui donneraient une maîtrise imaginaire des marchés et des médias (idéalisme intersubjectif). Toute création est singulière, et le concept comme création proprement philosophique est toujours une singularité. Le premier principe de la philosophie est que les Universaux n’expliquent rien, ils doivent être eux-mêmes expliqués. On peut considérer comme décisive cette définition de la philosophie, connaissance par purs concepts mais tombe le verdict nietzschéen vous ne connaîtrez rien par concepts, si vous ne les avez d’abord créés… Philosopher, c’est créer des concepts. Les grands philosophes sont donc très rares.

Se connaître soi-même — apprendre à penser — faire comme si rien n’allait de soi — s’étonner, " s’étonner que l’étant est…, ces déterminations de la philosophie et beaucoup d’autres forment des attitudes intéressantes, quoique lassantes à la longue, mais ne constituent pas une occupation bien définie, une véritable activité, même d’un point de vue pédagogique. Créer des concepts, au moins, c’est faire quelque chose. La question de l’usage ou de l’utilité de la philosophie, ou même de sa nocivité, doit en être changée.

Beaucoup de problèmes se pressent sous les yeux hallucinés d’un vieil homme qui verrait s’affronter toute sorte de concepts philosophiques et de personnages conceptuels. Et d’abord, ces concepts sont et restent signés, substance d’Aristote, cogito de Descartes, monade de Leibniz, condition de Kant, puissance de Schelling, durée de Bergson… Mais aussi, certains réclament un mot extraordinaire, parfois barbare ou choquant, qui doit les désigner, tandis que d’autres se contentent d’un mot courant très ordinaire qui se gonfle d’harmoniques si lointaines qu’elles risquent d’être imperceptibles à une oreille non philosophique. Certains sollicitent des archaïsmes, d’autres des néologismes, traversés d’exercices étymologiques presque fous l’étymologie comme athlétisme proprement philosophique. Il doit y avoir dans chaque cas une étrange nécessité de ces mots et de leur choix, comme élément de style. Le baptême du concept sollicite un goût proprement philosophique qui procède avec violence ou avec insinuation, et qui constitue dans la langue une langue de la philosophie, non seulement un vocabulaire, mais une syntaxe atteignant au sublime ou à une grande beauté. Or, quoique datés, signés et baptisés, les concepts ont leur manière de ne pas mourir, et pourtant sont soumis à des contraintes de renouvellement, de remplacement, de mutation qui donnent à la philosophie une histoire et aussi une géographie agitées, dont chaque moment, chaque lieu se conservent, mais dans le temps, et passent, mais en dehors du temps. Si les concepts ne cessent pas de changer, on demandera quelle unité demeure pour les philosophies. Est-ce la même chose pour les sciences, pour les arts, qui ne procèdent pas par concepts Et qu’en est-il de leur histoire respective Si la philosophie est cette création continuée de concepts, on demandera évidemment ce qu’est un concept comme Idée philosophique, mais aussi en quoi consistent les autres Idées créatrices qui ne sont pas des concepts qui reviennent aux sciences et aux arts, qui ont leur propre histoire et leur propre devenir, et leurs propres rapports variables entre elles et avec la philosophie. L’exclusivité de la création des concepts assure à la philosophie une fonction, mais ne lui donne aucune prééminence, aucun privilège, tant il y a d’autres façons de penser et de créer, d’autres modes d’idéation qui n’ont pas à passer par les concepts, à commencer par la pensée scientifique. Et l’on reviendra toujours à la question de savoir à quoi sert cette activité de créer des concepts, telle qu’elle se différencie de l’activité scientifique ou artistique pourquoi faut-il créer des concepts, et toujours de nouveaux concepts, sous quelle nécessité, à quel usage Pour quoi faire La réponse d’après laquelle la grandeur de la philosophie serait justement de ne servir à rien est une stupide coquetterie. En tout cas, nous n’avons jamais eu de problème concernant la mort de la métaphysique ou le dépassement de la philosophie ce sont d’inutiles, de pénibles radotages. On parle de la faillite des systèmes aujourd’hui, alors que c’est seulement le concept de système qui a changé. S’il y a lieu et temps de créer des concepts, l’opération qui y procède s’appellera toujours philosophie, ou ne s’en distinguerait même pas si on lui donnait un autre nom. La philosophie céderait volontiers la place à toute autre discipline qui remplirait mieux la fonction de créer des concepts, mais tant que la fonction subsiste, elle s’appelle encore philosophie, toujours philosophie.

Nous savons pourtant que l’ami ou l’amant comme prétendant ne va pas sans rivaux. Si la philosophie a une origine grecque autant qu’on veut bien le dire, c’est parce que la cité, à la différence des empires ou des États, invente l’Agôn comme règle d’une société des " amis, la communauté des hommes libres en tant que rivaux (citoyens). C’est la situation constante que décrit Platon si chaque citoyen prétend à quelque chose, il rencontre nécessairement des rivaux, si bien qu’il faut pouvoir juger du bien-fondé des prétentions. Le menuisier prétend au bois, mais se heurte au forestier, au bûcheron, au charpentier qui disent c’est moi, c’est moi l’ami du bois. S’il s’agit de prendre soin des hommes, il y a beaucoup de prétendants qui se présentent comme l’ami de l’homme, le paysan qui le nourrit, le tisserand qui l’habille, le médecin qui le soigne, le guerrier qui le protège. Et si, dans tous ces cas, la sélection se fait malgré tout dans un cercle quelque peu restreint, il n’en est plus de même en politique, où n’importe qui peut prétendre à n’importe quoi, dans la démocratie athénienne telle que la voit Platon. D’où la nécessité pour Platon d’une remise en ordre, où l’on crée les instances grâce auxquelles juger du bien-fondé des prétentions ce sont les Idées comme concepts philosophiques. Mais même là, ne va-t-on pas rencontrer toutes sortes de prétendants pour dire le vrai philosophe, c’est moi, c’est moi l’ami de la Sagesse ou du Bien-Fondé La rivalité culmine avec celle du philosophe et du sophiste, qui s’arrachent les dépouilles du vieux sage, mais comment distinguer le faux ami du vrai, et le concept du simulacre Le simulateur et l’ami c’est tout un théâtre platonicien qui fait proliférer les personnages conceptuels en les dotant des puissances du comique et du tragique.
Plus près de nous, la philosophie a croisé beaucoup de nouveaux rivaux. Ce furent d’abord les sciences de l’homme, et notamment la sociologie, qui voulaient la remplacer. Mais, comme la philosophie avait de plus en plus méconnu sa vocation de créer des concepts, pour se réfugier dans les universaux, on ne savait plus très bien de quoi il était question. S’agissait-il de renoncer à toute création de concept au profit d’une stricte science de l’homme, ou bien au contraire de transformer la nature des concepts en en faisant tantôt des représentations collectives, tantôt des conceptions du monde créées par les peuples, leurs forces vitales, historiques et spirituelles Puis ce fut le tour de l’épistémologie, de la linguistique, ou même de la psychanalyse, et de l’analyse logique. D’épreuve en épreuve, la philosophie affronterait des rivaux de plus en plus insolents, de plus en plus calamiteux, que Platon lui-même n’aurait pas imaginés dans ses moments les plus comiques. Enfin, le fond de la honte fut atteint quand l’informatique, la publicité, le marketing, le design s’emparèrent du mot concept lui-même, et dirent c’est notre affaire, c’est nous les créatifs, nous sommes les concepteurs C’est nous les amis du concept, nous le mettons dans nos ordinateurs. Information et créativité, concept et entreprise une abondante bibliographie déjà… Le mouvement général qui a remplacé la Critique par la promotion commerciale n’a pas manqué d’affecter la philosophie. Le simulacre, la simulation d’un paquet de nouilles est devenu le vrai concept, et le présentateur du produit, marchandise ou œuvre d’art, est devenu le philosophe, le personnage conceptuel ou l’artiste. Mais comment la philosophie, une vieille personne, s’alignerait-elle avec des jeunes cadres dans une course aux universaux de la communication pour déterminer une forme marchande du concept, Merz Plus la philosophie se heurte à des rivaux impudents et niais, plus elle les rencontre en son propre sein, plus elle se sent d’entrain pour remplir sa tâche, créer des concepts, qui sont des aérolithes plutôt que des marchandises. Elle a des fous rires qui emportent ses larmes. Ainsi donc, la question de la philosophie est le point singulier où le concept et la création se rapportent l’un à l’autre.

Les philosophes ne se sont pas suffisamment occupés de la nature du concept comme réalité philosophique. Ils ont préféré le considérer comme une connaissance ou une représentation données, qui s’expliquaient par des facultés capables de le former (abstraction, ou généralisation) ou d’en faire usage (jugement). Mais le concept n’est pas donné, il est créé, à créer il n’est pas formé, il se pose lui-même en lui-même, auto-position. Les deux s’impliquent, puisque ce qui est véritablement créé, du vivant à l’œuvre d’art, jouit par là même d’une auto-position de soi, ou d’un caractère autopoïétique à quoi on le reconnaît. D’autant plus le concept est créé, d’autant plus il se pose. Ce qui dépend d’une libre activité créatrice, c’est aussi ce qui se pose en soi-même, indépendamment et nécessairement le plus subjectif sera le plus objectif. Ce sont les post-kantiens qui ont porté le plus d’attention en ce sens au concept comme réalité philosophique, notamment Schelling et Hegel. Hegel a défini puissamment le concept par les Figures de sa création et les Moments de son auto-position les figures constituent le côté sous lequel le concept est créé par et dans la conscience, à travers la succession des esprits, tandis que les moments dressent l’autre côté suivant lequel le concept se pose lui-même et réunit les esprits dans l’absolu du Soi. Hegel montrait ainsi que le concept n’a rien à voir avec une idée générale ou abstraite qui ne dépendrait pas de la philosophie même. Mais c’était au prix d’une extension indéterminée de la philosophie qui ne laissait guère subsister le mouvement indépendant des sciences et des arts, parce qu’elle reconstituait des universaux avec ses propres moments et ne traitait plus qu’en figurants fantômes les personnages de sa propre création. Les post-kantiens tournaient autour d’une encyclopédie universelle du concept, qui renvoyait la création de celui-ci à une pure subjectivité, au lieu de se donner une tâche plus modeste, une pédagogie du concept, qui devrait analyser les conditions de création comme facteurs de moments restant singuliers. Si les trois âges du concept sont l’encyclopédie, la pédagogie et la formation professionnelle commerciale, seul le second peut nous empêcher de tomber des sommets du premier dans le désastre absolu du troisième, désastre absolu pour la pensée, quels qu’en soient, bien entendu, les bénéfices sociaux du point de vue du capitalisme universel.

Gilles Deleuze

Ce texte a été publié initialement in Chimères, n° 8, mai 1990. Revue trimestrielle dirigée par Gilles Deleuze et Félix Guattari


Avec l'autorisation de la revue Prétentaine

setembro 14, 2005

Gilles Deleuze. Le libertaire - Par CATHERINE HALPERN

Um velho homem fala em frente da câmara, a voz rouca, o olho vivo, apesar de, sente-se, um certo cansaço. Os seus modos continuam entusiastas, frequentemente divertidos. Tem um ar simpático, este filósofo que aceita reagir às palavras lançadas por uma jovem, Claire Parnet.

Para traduzir o resto do texto para português utilizar o seguinte endereço: http://www.worldlingo.com/pt/products_services/computer_translation.html

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Versão original em francês em:
http://scienceshumaines.fr/documentAccess.do?id=41533

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Sciences Humaines

Numéro Spécial n° 3 - mai 2005


Gilles Deleuze. Le libertaire

Par CATHERINE HALPERN


Un vieil homme parle face à la caméra, la voix rauque, l'œil vif, pétillant, malgré, on le sent, une certaine fatigue. Ses propos sont toujours enthousiastes, souvent amusés. Il a l'air sympathique, ce philosophe qui accepte de réagir à des mots lancés par une jeune femme, Claire Parnet. De toute façon, tout vaut mieux que de répondre à des questions. Cela, il n'aime pas. Dans Dialogues, il s'explique : « La plupart du temps, quand on me pose une question, même qui me touche, je m'aperçois que je n'ai strictement rien à dire. Les questions se fabriquent comme autre chose. Si on ne vous laisse pas fabriquer vos questions, avec des éléments venus de partout, de n'importe où, si on vous les "pose", vous n'avez pas grand-chose à dire [1] . » Alors Gilles Deleuze préfère parler à partir de mots lancés selon un ordre arbitraire - l'ordre alphabétique : il parlera donc de désir, de tennis, de peinture, de politique... C'est L'Abécédaire [2] . Ce film est sans doute la manière la plus plaisante de découvrir G. Deleuze. Car il faut bien avouer qu'il est plus facile de l'écouter que de le lire. Ses livres sont, il est vrai, plutôt atypiques. Pas au début. Ses premiers livres sont assez classiques, tout comme son parcours. G. Deleuze fait ses études secondaires au lycée Carnot à Paris, devient agrégé de philosophie, enseigne aux lycées d'Amiens, d'Orléans et Louis-le-Grand de 1948 à 1957. En 1953, il publie son premier livre, Empirisme et Subjectivité, une étude sur le philosophe écossais du XVIIIe siècle David Hume. Suivront plusieurs études d'histoire de la philosophie.
Jusque-là, rien de très singulier. Et pourtant, déjà, quelque chose pointe. Les philosophes auxquels s'intéresse G. Deleuze ne sont pas vraiment ceux qui sont alors en vogue dans l'université française. A l'époque où cette dernière est dominée par les trois « H » ? Georg Hegel, Edmund Husserl et Martin Heidegger (« une scolastique pire qu'au Moyen Age [3] ») ?, G. Deleuze, lui, s'intéresse à David Hume, Friedrich Nietzsche ou Baruch Spinoza (voir l'article p. 74)... En fait, l'air de rien, G. Deleuze est en train d'affûter ses armes. Et puis, comme il l'explique dans L'Abécédaire, créer ses concepts, construire sa propre philosophie, c'est un peu comme en peinture entrer dans la couleur. Ce n'est pas simple. Il faut du travail. Vincent Van Gogh et Paul Gauguin, qui comptent parmi les plus grands coloristes, abordaient la couleur avec respect et peur. Ce serait choquant de commencer directement par « sa » philosophie. Pour conquérir le concept, il faut beaucoup de précautions, de travail et il faut faire de l'histoire de la philosophie, laquelle est l'art des portraits, des portraits spirituels. Le parallèle que fait G. Deleuze est intéressant : il consacrera un certain nombre d'ouvrages à l'art (peinture avec Francis Bacon, littérature avec Marcel Proust, Franz Kafka ou Sacher-Masoch, cinéma). Au fond, G. Deleuze, c'est le philosophe artiste. Philosopher, ce n'est pas analyser, ce n'est pas contempler, c'est créer ; pas des romans, des films mais des concepts. C'est avec deux ouvrages parus en 1969, Logique du sens et Différence et Répétition, que G. Deleuze aborde « sa » philosophie. Il veut promouvoir une philosophie de la multiplicité contre une philosophie de l'unité, du singulier, une philosophie qui penserait l'événement contre la philosophie des catégories générales... Rétrospectivement, G. deleuze trouve ses ouvrages encore trop académiques pour nourrir son projet philosophique. La rencontre avec Félix Guattari en 1969 va être déterminante. Psychanalyste, formé par Jacques Lacan avec qui il prend ses distances, F. Guattari (1930-1992) travaille dans la clinique psychiatrique de La Borde. Cette rencontre constitue pour G. Deleuze (et F. Guattari bien sûr) un tournant. Ils écriront de nombreux livres à quatre mains. F. Guattari va libérer G. Deleuze, faire exploser la dernière couche académique dont voulait se débarrasser G. Deleuze et dont il trouve Logique du sens et Différence et Répétition encore empesés. La première étape : L'Anti-Œdipe, le premier tome de Capitalisme et Schizophrénie. Le style n'a pour le coup rien d'universitaire : mots familiers, ton polémique, attaque en règle contre la triangulation moi-papa-maman qu'opère la psychanalyse, apologie du « schizo »..., l'oeuvre ne laisse pas indifférent et suscite un large engouement (voir l'article p. 80). Mais G. Deleuze et F. Guattari ne s'arrêtent pas là : « On ne peut pas dire que L'Anti-Œdipe soit débarrassé de tout appareil de savoir : il est encore bien universitaire, assez sage, et ce n'est pas la pop'philosophie ou la pop'analyse rêvées [4] . »Mille Plateaux, le second tome de Capitalisme et Schizophrénie, ira plus loin dans l'explosion de la forme traditionnelle du livre. G. Deleuze et F. Guattari refusent le modèle du « livre-racine », incapable de saisir la multiplicité. Mille Plateaux est un livre unique, une véritable expérimentation : il constitue une tentative pour écrire un texte-rhizome, pour penser le multiple de manière décentrée et multidirectionnelle : « Nous écrivons ce livre comme un rhizome. Nous l'avons composé de plateaux. Nous lui avons donné une forme circulaire, mais c'était pour rire. Chaque matin nous nous levions, et chacun de nous se demandait quels plateaux il allait prendre, écrivant cinq lignes ici, dix lignes ailleurs. (...) Chaque plateau peut être lu à n'importe quelle place et mis en rapport avec n'importe quel autre [5] . »
Cette philosophie inventive et foisonnante voit fourmiller des concepts inédits en tous sens : schizoanalyse, ritournelle, machine désirante, ligne de fuite, rhizome, machine de guerre... Elle exerce une véritable fascination. A l'université Paris-VIII-Vincennes où il commence à enseigner à partir de 1969, G. Deleuze fait cours dans une salle archicomble où se pressent non seulement des étudiants de philosophie mais aussi des artistes, des psychologues, des marginaux, tout un public bigarré qui, enthousiaste, vient l'écouter. Un gourou ? Pas du tout. G. Deleuze n'a jamais voulu fonder une école, encore moins avoir de disciples. Pour lui, la philosophie ne doit pas seulement s'adresser aux philosophes professionnels (voir l'entretien avec Élie During, p. 92). Loin s'en faut. « La philosophie a besoin de compréhension non philosophique autant que de compréhension philosophique. C'est pourquoi la philosophie a un rapport essentiel avec les non-philosophes et s'adresse aussi à eux [6] . » D'où l'idée d'une autre lecture qui ne serait pas analyse de ce que signifie le livre : « Cette autre lecture, c'est une lecture en intensité : quelque chose passe ou ne passe pas. Il n'y a rien à expliquer, rien à comprendre, rien à interpréter [7] . » On le voit, pas de « philosophiquement correct » chez G. Deleuze. Libérer les flux de désir, libérer la philosophie... G. Deleuze est un assoiffé de liberté.


Article paru dans le Numéro Spécial n° 3 Foucault, Derrida, Deleuze : Pensées rebelles - mai 2005




Notes
[1] [2] [2] L'Abécédaire de Gilles Deleuze, avec C. Parnet, réalisation de P.-A. Boutang, éditions Montparnasse, 1988. [3] [3] Dialogues, op. cit. [4] [4] Pourparlers 1972-1990, 1990, rééd. Minuit, 2003. [5] [5] Mille Plateaux, 1980, rééd. Minuit, 1997. [6] [6] Pourparlers, op. cit. [7] [7]Ibid.


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setembro 03, 2005

The Space of Flows: notes on emergence, characteristics and possible impact on physical space. - Felix Stalder

The Space of Flows: notes on emergence, characteristics and possible impact on physical space.

by Felix Stalder

Invited Talk for: c I T y: reload or shutdown? 5th International PlaNet Congress Paris, August 26th - September 1st 2001
Version: (August/September 2001, uncorrected English)

## The emergence of the space of flows: from the center to the network
## Material and informational dimensions
## Space of flows and the space of place

The emergence of the space of flows: from the center to the network

A good entry point into space of flows is the office, one of its principle sites. The office as such is a relatively new phenomenon. It became an important place for work only in the second half the 19th century, long after the factory was established as the place of production and, in many ways, in a direct response to the factory. The rise of the modern corporation in the late 19th early 20th century raised the scale of production for the newly emerging mass markets. These markets emerged in the wake of the formation of the nation state, the growing train system and the expanding telegraph networks whose cables often ran parallel to the tracks. The speeding up of social and economic life required new techniques of administration and management. The traditional methods were no longer able to deal with the pace and volume of transactions involved in mass production.
This created the need to innovate in the management of the flows of material and information. The industrialists answered with massive production complexes and the automation of information processing. At the core of this movement were new administrative technologies filing cabinets, calculating machines with punch cards and, later, mainframe computers. They that allowed to manage high volumes of information efficiently and centrally. A possible candidate for the beginning of this movement is the year 1892. In that year, the portable typewriter was patented and machine writing replaced handwriting as the business standard. In the same year, the first machine that could add and subtract was commercially introduced, the mechanization of mental labor began in earnest. As a consequence, the modern office was born (Beniger, 1986).
For more than half a century, the main direction of change that these new technologies help to drive forward was towards the center. Industrialization can be seen a movement towards mass production, centralization and bureaucratization. German sociologist Max Weber likened this increasing rationalization and bureacratization of society to the creation of an "iron cage".
Hardly any built environment symbolizes this industrial centralization better than Henry Ford's famous Rouge Plant in Dearborn, Michigan. Construction began in 1917 of what was then the world's largest industrial complex. The Rouge Plant included all the elements that were needed to produce an entire automobile from scratch: a steel mill, a glass factory, and an automobile assembly line. Iron ore and coal were brought in on Great Lakes steamers and by railroad. They were used to produce both iron and steel. Rolling mills, forges, and assembly shops transformed the steel into springs, axles, and car bodies. Foundries converted iron into engine blocks and cylinder heads that were assembled with other components into engines. By September 1927 all steps in the manufacturing process from refining raw materials to final assembly of the automobile took place at the vast Rouge Plant, epitomizing Henry Ford's idea of mass production and offering a perfect illustration that mass production meant centralization and integration.
The unifying movement of the industrial revolution was towards the center. The center was occupied by the head of an extremely hierarchical organization. Information flowed from the bottom to the top and orders from the top to the bottom, the same way as raw materials flowed into the factory and finished products came out of it. Control was centralized, production was centralized, and often, both were centralized in the same place. This type of organization was highly efficient, but it was also extremely inflexible. Henry Ford's famous quote that customers could choose any colour for their car, as long as it was black illustrates this point. Thanks to mass production, everyone could own a car, but everyone ended up owning the same model. It must have been a nightmare to find one's car in a big parking lot.
Centralization meant that even as the scale kept on increasing, things that logically belonged together in the sense that they constituted a single process were also geographically located together.
This movement towards the center began to change after the second world war. Increasingly, places that were far away from one another became integrated. The way this integration happened was historically new and unprecedented. It was not simply a matter that distant places became more interconnected, or that what happened in one place influenced an another more directly. Such an interconnection would have been nothing new. Long distance trading played an important role in European history at least since 10 century, the influx of gold from Latin America was major influence in the early development of capitalism and international trade was integral part of industrial life.
However, what was substantially new was that these distant places started to become integrated in a fashion that allowed them to function as a coherent unit in real time. Real time is the operative world here. Locations that were geographically distant could be connected to one another as if they were right next to one another, without delay.
Many factors contributed to this development. One of the major early motors was the US army. It had fought, and won, the war around the globe, in Europe as well as in Asia. In the wake, it began to consolidate its geo-strategic position by establishing military bases around the world. These bases required a support infrastructure that made it possible to maintain and manage them in a coordinated single web of interconnected parts. The creation of a new global telecommunications infrastructure was key to this development of linking distributed units into a single entity that could function in real time.
In the 1950s The first transatlantic telephone cable was laid and could carry 36 very expensive conversations at one time. In 1976 the sixth cable was laid carrying some 4000 conversations at one time and not before 1988 the first fiber-optic cable was laid that could carry 40'000 conversations at once. In 1998, a new cable laid between Britain and the US could carry 1.6 million calls a time. In the late 1980s additional communication links via satellite were established providing an ever greater number of people with abundant communication channels (Wriston 1992, Rowland 1997, Winston 1998).
The effects are dramatic and are still unfolding. What logically belongs together no longer needs to be in one place in order to function as single unit. The traditional trade-off between the advantages of operating across different locations and the disadvantages of having to deal with a delay in communication and coordination across these places ceases to exist. For the first time ever, it is becoming possible to be geographically distributed and still act as a unit in real time. Many analysts had notices the speeding up of social relation and the changes in the importance if physical distances. The geographer David Harvey, for example, spoke of "time-space compression". By this he meant he meant that things happen faster, hence time is compressed and at the same time, they happen across larger distances, hence space is compressed.
A new space for social interaction emerged. In this space interaction took place in real time across very large distances. This space was shaping and shaped by the flows of information, people and goods. It was Manuel Castells who argued that this is not only the gradual extension of long historical trends, but that a threshold had been passed to create a new social space that has its own characteristics and dynamics. In his groundbreaking book The Rise of the Network Society (1996), he called this space the space of flows.
But was is the space of flows? Put most simply, the space of flows is a space that is organized for, and created by, the constant movement of people, goods and information over large distances. The space of flows is not so much organized to move things from one place to another, but to keep them moving around. In the space of flows, arrival becomes elusive, virtually indistinguishable from departure.
Since it was Manuel Castells who created the concept, will quote at length his definition of the space of flows. Castells (1996) writes:
Our societies are constructed around flows: flows of capital, flows of information, flows of technology, flows of organizational interactions, flows of images, sounds and symbols. Flows are not just one element of social organization: they are the expression of the processes dominating our economic, political, and symbolic life. ... Thus, I propose the idea that there is a new spatial form characteristic of social practices that dominate and shape the network society: the space of flows. The space of flows is the material organization of time-sharing social practices that work through flows. By flows I understand purposeful, repetitive, programmable sequences of exchange and interaction between physically disjointed positions held by social actors. (p.412) This statement deserves a bit of unpacking. Castells' central argument is that the space of flows is created by the real-time interaction of distributed social actors. The space is comprised of interactions and the material infrastructure that makes these interactions possible. The reason why we need to pay attention to the emergence of this new space is that increasingly the most powerful process that shape our society are organized within the space of flows. The characteristics of the space of flows, then, affect everyone in the same way that building a new highway affects everyone, not just the people who drive on it.
Important is that the space of flows both the real time interaction of people who are physically distant from one another as well as the material infrastructure that makes this possible, in other words, the space of flow has both material and immaterial aspects.

Material and informational dimensions

What Ford's Rouge Plant was for the centralization of industrialism is the airport for the space of flows: a massive tangible symbol.
From an architectural point of view, airports are among the most extensive and complex projects ever. And it's perhaps only a little exaggeration to say that airports are today what cathedrals were in the middle ages, and train stations and factories were in 19th century: large collective efforts devoted to key institutions of their time.
Airports have been growing and multiplying for the last 50 years. Increasingly, airports are becoming so big that they threaten to destroy the landscapes they are supposed to serve. The growth of airports has turned into a major political battle nearly everywhere where expansion becomes necessary. One of the recent solution to the problem that airports pose to cities which need them but are in danger of being swallowed up by them, is to move them away from the urban landscape. But not just from the urban landscape, but from the historical landscape in general and place them on artificial island.
Rather than bringing the airport to the cities, new cities are being created around the airports. Or, to put it bluntly, flows create places, rather than other way around.
These islands are virtually self-sufficient hubs intensively connected to other major hubs and increasingly disconnected from the region they serve. The first major airport on an artificial island was Osaka's Kansai Airport which opened in 1994. Four years later, on July 6, 1998, the second such airport opened, Hong Kong's Chek Lap Kok. This airport consumed the gigantic amount of US$20.8 billion to be build and can handle 35 million passengers and 3million tons of cargo per year. This capacity can be gradually expanded to 87 million passengers and 9 million tons of cargo a year by 2040.
This year, the New Inchon International Airport in Korea opened. The promoters call it "winged city" but it might as well be called a city of flows. In promotional material it is heralded as, and I quote, "an off-shore airport for 24-hours-day operation, that is free of noise. Time differences between countries will not affect Inchon International Airport because it will be operated around the clock." This is a place outside the confines of real space.
The new airport has currently a capacity of 27 million passengers. When its fourth and final phase is completed in 2020, Inchon will be able to handle from 80 million to 100 million passengers per year on four runways. This is about twice the entire population of South Korea (47.5 million).
In Europe, the Schipol airport is facing severe limitations to grow in the densely populated agglomeration of Amsterdam. As a solution Rem Koolhaas proposes to build a new city - a kind of branch office of the Netherlands, on an artificial island in the Atlantic ocean. At its center would be a giant airport, a new European hub. But the new island is not just an airport, it is a full featured hub in the space of flows. It envisioned to incorporate a vast complex of entertainment and business centers that would fund the development, along with housing for a growing international population that Koolhaas calls "the kinetic elite," borrowing a term coined by the philosopher Peter Sloterdijk.
The kinetic elite are the people who live predominantly within the space of flows, people who travel hundreds of thousands of miles every year, who need not a home but a home base, a comfortable and convenient place in which to recuperate while waiting for the next flight.
While it has not yet been decided I believe if and how this new airport will be built, the logic of removing the airport from the local city and recreating it as self-contained hub for the flows of people, goods and information is very compelling.
Similarly to the way the air transportation system is built as a structure of hubs of different sizes global, regional and local so are the information networks, the public Internet as well as the closed, proprietary networks.

Three aspects define topology of these networks: Sprocessing power, Sbandwidth, and Sprotocols.

Let's start with the most obvious one: processing power. Processing power defines the types of operations that can be handled by the given piece of hardware and the time it takes to complete the operation. Every operation requires a certain minimum of processing power. If the hardware does not meet the requirements, the operation fails. If the operation needs to be completed in real time for example the graphic rendering of financial data then the minimum requirements of computing power increase dramatically. Processing power shapes the topology by defining the types of connection a given node can make within the network. If you have slow computer, it will crash under the load of a big java script.
However, in order to process really complex information, you do not only needs an advanced computing infrastructure. You need an advanced infrastructure on all levels, including a lot of services to maintain the infrastructure and to make sense out of the information processed. Equally critical, you need to have the resources to act based on the knowledge created out of the masses of data. Saskia Sassen (1991) talked about this clustering of advanced and mundane professional services in major centers of information flows in her books on "global cities".
The second parameter that creates the topology of the network is bandwidth. The bandwidth of a connection defines the amount of data that can be transferred in a given time. Hence bandwidth defines the maximum connection speed in the same way that the size of a hose defines how much water can be pumped through it. The higher the bandwidth, the higher the data throughput. As George Gilder used to say before his stock index collapsed, bandwidth changes everything. Well, perhaps not everything we see now, but bandwidth is very important. Filesharing systems like Napster, for example, would never have become important if we all were still using only dial-up modem connection. A high bandwidth does not only speed up the transfer, it makes different kind exchange patters possible. Particular for real time applications, bandwidth is critical. While I may be willing to wait have an hour to download an MP3 file that I really want, video conferencing is impossible if the data cannot be transmitted in real time.
In terms of topology one can say that high bandwidth nodes tend to connect to other high bandwidth nodes whereas low-bandwidth nodes tend to communicate other low bandwidth nodes. If you have a 14.4 connection to the Internet, you are not going to access multi-media rich sites, but you will stick to simple text-based sites. Since the speed of a connection is limited by the slowest link in the chain of transmission, if consistent high speed is required, a dedicated network has to be created. This is what happened with the so-called Internet2. Internet2 is an experimental network that connects some of the premier research sites, many in American universities, to another through connections that run parallel to the existing Internet in order to guarantee consistent extremely high bandwidth. On the Internet2, things like fully immersive video conferencing are possible, but only with other sites connected to this elite network.
There is an obvious parallel to airports here. Large airports are the high-bandwidth nodes in the flows if people and goods. Like high-bandwidth nodes in all flows, they tend to privilege communication to other high-bandwidth nodes, that is, to other mega airports. That is one of the reasons why it is often several hundred $ cheaper to fly from, say, Toronto to London, than to fly from Toronto to Timmins, even though the London is on another continent while Timmins is within the same province.
The third and final topological parameter of a computer network are the protocols used to exchange data. For computers to communicate, they need on a two sets of protocol. First, the communication protocol that let's them exchange data. The Internet, basically, is defined by a communication protocol called TCP/IP which stands for Transmission Control Protocol/Internet Protocol. Any computer that does not communicate by TCP/IP is inaccessible through the Internet. The second type of protocol are what one might call application protocols, such as HTTP which stands for HyperText Transmission Protocol and is the protocol that makes it possible to access web pages. There are any number of these application protocols for different applications such as email, telnet, file sharing systems and so on.
The important thing about protocols is that is relatively easy, and very effective, to make nodes or content inaccessible by switching to a different type of protocol, or to control network traffic on the basis of protocols. During a recent visit to China, for example, I noticed that publicly accessible cybercafes all block so-called secure shell connections, by which it is possible to establish an encrypted connection to another computer that makes eavesdropping on the content transmitted very hard. For obvious reasons, the Chinese government does not want people to connect to foreign servers in a completely private manner. All the government had to do was to block this protocol. Closer to home, many universities have used a similar approach to block Napster traffic which uses a specific protocol that can be easily posted and isolated in the overall traffic.
In a decentralized computer network such as the Internet every node could be connected to every other. The network could be entirely flat. The entire world is at our fingertips, we know the hype. However, the unequal distribution of computing power, bandwidth and the flexible architecture of communication and application protocols introduced a complex topography that shapes what kind of connection can be made, and creates new centers as well as new peripheries.

Immaterial aspects.

Within the parameters of this topology, which itself is rather flexible, the flows of information are fast moving and generally extremely flexible. While they cannot jump outside this topology, butwithin it virtually any direction and connection is possible. However, how the information flows is not random but itself shaped by a number of characteristics. I will mention two pairs: Interdependence and differentiation on the one hand, and Time-dependence and change on the other.
First, flows connect, pure and simple. There can be no flow in one place, flows necessarily are between place. This creates interdependence. Isolation is death. Like all electronic currents, electronic information flows between differences. Data is turned to information through context, that is by relating it to other data. The two pieces of data need to be different enough so that when related to one another, a difference can be seen. As Gregory Bateson (1972) noted: Information is the difference that makes a difference.
On the other hand the two pieces of data need to be similar enough so that they can be related at all. The value of data, or anything else within the space of flows for that matter, is not intrinsic, but it's based to what is can be related to.
Marshal McLuhan (1972) once said "the meaning of meaning is relationship." By this he meant, that there is no content without context and that the importance of a piece of information, its real meaning, changes depending on what it is related to. What turns data into information is the creation of a context. What turns information into knowledge in the expansion of this context. The difference between data, information, and knowledge is the amount of relationships that are contained within it. Data is meaningless: If I say, 23 degree Celsius that means nothing because it doesn't relate to anything. 23 degree Celsius of what? If I say today in Paris it's 23 degree Celsius, data becomes information. the temperature is related to a place and a time. From a relationship, meaning emerges. If I say, today in Paris it's 23 degree Celsius and I better take a jacket with me because in the evening it can get cold and I probably won't go back to the hotel, information is transferred into knowledge because it relates the data to a great deal of other information, my previous experience of Paris weather, the expectation of my itinerary for the rest of the day, the stuff that's in my suitcase and so on.
This need to be sufficiently different while at the same time compatible in order to attract and contribute to the information flows, reinforces to some degrees the topology of the network. Hubs that are similar tend to communicate with one another, while, at the same time, they intensely compete against one another. Under these circumstances, the difference between competition and cooperation is blurring. This, of course, does not mean that networks foster a more harmonious communication style, not at all, but it means that within larger processes, elements of cooperation and competition intermix.
Saskia Sassen's world cities New York, Tokyo, London are a good examples for this. In terms of the network topology, they are very similar. They are major hubs in the global financial networks. Hence they are well able to communicate with one another. However, it's the differences that link those three cities to one another. In particular and most obviously, their location in different time zone which allows them to operate as a 24 hour unit. Large financial services firms routinely pass portfolios from one hub to the next so that they can be worked on all the time. These cities are highly interdependent and differentiated from one another at the same time.
Let's move to the second pair of characteristics of information flows: change and time-dependence. The flow of data does not simply connect two nodes. By connecting they change what they relate. A bridge does not simply couple two independent villages across a river, it creates a new city. Immaterial flows of data are extremely malleable. Out of changes new relationships arise, bringing into a sudden interdependence what once seemed to be independent. On the other hand, cutting existing flows can separate what was once closely related.
The current wave of mergers and out-sourcing reflects the reorganization of institutional structures as they struggle to adapt to the changes in data flows.
Change, however, is neither additive nor subtractive in the space of flows. It is integral or ecological. A single change can accelerate into dynamics that lead to total change. If one removes a species from a given habitat, one is not left with the same environment minus that one species: one has created a new environment and reconstituted the conditions of survival. In a similar way, change ripples through an environment of electronic information. New flows of information can change everything. The interdependence of the nodes creates a world in which flows can travel through the entire environment and, according to the way it is reshaped in each node, they increase or decrease in size or velocity.
In an environment where change is ubiquitous and sudden, the mode of survival is adaptation instead of optimization, which has been the key strategy under the linear development in the industrial age. The newest version of a software product is not better because it has fewer bugs, indeed, often it has more bugs, but it is better because it incorporates new capabilities adapting to the fast-paced changes of the environment.
The second aspect of the his type of change is the increasing importance of time. In an environment where data flows very quickly, at the speed of light through computer networks, and the new interrelations arise as fast as old connections die, time is a central factor in the process. Nothing is fixed, unless it is continuously supported. A server that is no longer maintained disappears with the next crash, which is usually not far away. But this fragility is not primarily on the level of the infrastructure, which has proven to be, overall, quite stable, despite viruses and various kinds of attacks. The fragility of the electronic environment comes from the speed at which the flows change. Sometimes this change comes with such a force that entire institutions are unable to adapt and are destroyed. Quick moves in the capital markets can wipe out institutions that were once the foundation of global empires, as the fall of the oldest British merchant bank, Barings Plc., dramatically demonstrated in the mid 1990s. In this particular case, the volatility of financial markets was, in part, caused by the volatility of the earth's crust, the earthquake in Kobe, a rare concurrence of two flows that move at very different speeds.
Data can be turned into valuable information only as long as it is timely. The time span in which information really makes a difference is not intrinsic to the data itself, but is determined by the relation that are created with it. For the dealer in the capital markets 15 minutes old quotes are worthless, for the journalist who prepares the daily summary for a newspaper they are valid, and for the analyst who tries to develop models for predicting the future movements the quotes of the last couple of years may be of crucial importance as a testing-ground for his models.
The possible impact on the organization of physical space.
The space of flows emerged when it became necessary and possible to integrate entities that are physically far apart into the single units than can work in real time. Networking previously isolated computers reversed the trend towards centralization, which dominated the industrialization. A new, networked mode of organization is becoming typical for the information society.
Increasingly, our societies are depending on, and organized through, ever larger flows of people, goods and information. On an informational level, these flows are characterized by an extreme flexibility and distinctive patterns. I identified the pairs of interdependence and differentiation as well as time-dependence and integral change as characteristic for the flows of electronic information.
Within computer networks, distance is binary. This means that information is either here or not accessible at all. Everything that is available is available at equal distance. Everything else is unreachable. There is no approaching in cyberspace. It's on or off.
Quick to spot new trends, the business press has pronounced the Death of Distance. In September 1995, for example, the Economist wrote:
Carrying a call from London to New York costs virtually the same as carrying it from one house to the next. The death of distance...will probably be the single-most important economic force shaping society in the first half of the next century. (The Economist, September 30, 1995, pp. 15, 27)I hope it comes as no surprise that I think the death of distance is a useless concept for understanding the effect the space of flows has on the space of place. Already the example chosen, a telephone call between London and New York, is revealing. The death of distance implies the optimistic vision that everything becomes more closely connected. The example, however, indicates that major cities around the world are growing into one mega complex. It's seductive to believe that this is one and the same movement, but in fact, that is hardly the case. Like Gill Gates' vision of the friction-free capitalism, the death of distance is a highly selective extrapolation of a few technological trends.
This does not mean that the example is incorrect, it's just very very selective. London and New York are becoming more integrated. However, this is not so much the effect of a general death of distance. Rather, it's a indication how the space of flows connects places to one another that are similar and thushow the space of flows is actively reconfiguring the space of places. I have already talked about the fact that airports the quintessential hubs in the space of flows are becoming so big that they threaten to destroy traditional cities. The solution is to create new artificial landscapes that are entirely built to accommodate and support flows.
As my discussion of the network topology has indicated hubs of similar size tend communicate with one another, so the merging of London, New York and Tokyo into a 24 hours financial network-space is not surprising. The same happens on the low end of the space of flows: the cheap export processing zones full of sweatshops. They are also merging into a integrated global network-space. Within such space, the flexibility is great. It takes comparatively little to move the production of Nike shoes from Guatemala to Sri Lanka.
The space of flows is highly stratified and a new geography of distance is emerging. Distance is increasingly defined functionally, rather than geographically. As Saskia Sassen reported, the real estate prices in certain areas of Manhattan fluctuate in close association with the real estate prices in comparable areas of Frankfurt and London. They are, to some extent, independent from the general ups and downs of the real estate markets in the greater New York area. In other words, as much as there is a horizontal integration and a merging of distant places that have a similar profile, there is a vertical growth of distance within existing locales.
At the same time, not only the relationships across places changes through highly specific patterns of integration and disintegration. The structure within places changes to due to their connection to the space of flows. Most importantly, flexibility and adaptation to change becomes more important as change becomes more faster and more a regular feature. Organizational structures change and with this, the spatial needs of those organizations change too. As I mentioned, the dominant mode of industrial organization was centralization, whereas informational organization tends to be more network oriented because such a mode is flexible and can adapt more easily to the what I called ecological change in the space of flows.
The cars that Ford produced at its Rouge Plant in Dearborn Michigan were all black. Millions upon millions of black cars. This is industrial production. Nike, on the other hand, allows its customers to choose from a number of variables to design of a single their pair of shoes through a web page, right down to the having a personal name stitched into the shoe. Essentially creating a shoe that is produced exactly once. This is informational production.
My hypothesis, which perhaps we can examine in the discussion or this afternoon during the panel discussion, is the following: The power of and in the space of flows will drive cities to re-invent themselves. Given the highly differentiated network topology, the cities are, of course, by no means obsolete. However, their new role is less a center of a region to which they are closely linked, but as a hub within a global or regional network of cities of equal size and characteristics.

References:

Bateson, Gregory (1972). Steps to an Ecology of Mind. New York: Ballentine Books
Beniger, James R. (1986). The Control Revolution: Technological and Economic Origins of the Information Society. Cambridge, MA: Harvard University Press
Castells, Manuel (1996). The Rise of the Network Society, The Information Age: Economy, Society and Culture, Vol. I. Cambridge, MA; Oxford, UK: Blackwell
Harvey, David (1989). The Condition of Postmodernity: An Inquiry into the Origins of Cultural Change. Oxford, UK: Blackwell Publishers
McLuhan, Marshall; Nevitt, Barrington (1972). Take Today: The Executive as Dropout. Don Mills, Ont.: Longman Canada Ltd
Rowland, Wade (1997). The Spirit of the Web: The Age of Information From Telegraph to Internet. Toronto: Sommerville
Sassen, Saskia (1991). The Global City: New York, London, Tokyo. Princeton, NJ: Princeton University Press
Winston, Brian (1998). Media Technology and Society: A History from the Telegraph to the Internet. London: Routledge
Wriston, Walter (1992). The Twilight of Sovereignty. How the Information Revolution is Transforming Our World. New York, Toronto: Maxwell Macmillan.